J’avais 26 ans, et mon conjoint, qui avait 30 ans, et moi avions une petite fille de 21 mois lorsque notre petit garçon est né pendant les vacances d’été. J’étais en congé maternité, et nous étions les parents les plus heureux et comblés que jamais. Deux enfants merveilleux, une maison en campagne, une famille unie, la sérénité absolue… C’était donc ça le bonheur ?
La grossesse et l’accouchement
Décembre 2023 : première échographie. La gynécologue me dit : “Vous me faites une bizarrerie, Madame.” Notre histoire a commencé ainsi. Il y avait deux bébés, mais un petit cœur s’était arrêté. L’annonce fut difficile à accepter ; j’ai eu besoin d’une semaine pour encaisser la perte du jumeau. Bien que cela se soit produit au début de ma grossesse, j’avais imaginé le bonheur de cette grossesse multipliée par deux. Rapidement, je revis la gynécologue pour me concentrer sur mon bébé qui s’était accroché à la vie. La suite de ma grossesse se passa bien ; lors des échographies, il était toujours en haut des courbes. Sauf qu’il y avait une calcification de la valve mitrale, qui n’était a priori pas grave.
Mon bébé est né trois semaines avant terme. J’ai pu serrer mon petit garçon contre moi après 40 minutes de poussées. Je passerai sous silence l’indélicatesse du personnel lorsqu’ils ont sorti le jumeau avec le placenta. Le retour à la maison se passa très bien, mais je n’ai pu allaiter mon fils que pendant 15 jours car il sortait constamment sa langue et ne parvenait pas à téter.
Lors de sa visite des 15 jours, j’ai précisé qu’il sortait sa langue. On m’a répondu que c’était lié à l’allaitement ; n’y connaissant rien, j’y ai cru. Pour la visite des un mois, sa langue sortait toujours et il ne tenait pas sa tête. “Il avait sûrement pas envie”, “tout allait bien” : je suis restée persuadée de ces affirmations. Avec du recul, j’étais probablement aveuglée par sa beauté, sa sagesse, son calme… Il dormait bien la nuit mais transpirait beaucoup, sa langue sortait toujours et il ne pleurait presque jamais.
Il était gardé avec nous et devait aller chez son assistante maternelle après mon congé maternité.
Le jour où tout a basculé
Le lundi 31 août, après les vacances d’été, ma fille faisait sa rentrée chez sa nourrice. Je l’y ai déposée et suis partie chez ma sage-femme à 20 km de la maison pour mon premier rendez-vous de rééducation du périnée. Mon fils était à la maison avec son père pour la matinée.
À 11h34, en quittant le rendez-vous, j’ai ouvert mon téléphone et lu : “Saul ne respire plus, les pompiers arrivent.” Mon cœur s’est emballé ; j’ai téléphoné plusieurs fois. Une femme a fini par répondre. C’était la mairesse de notre village qui m’a demandé de rentrer vite à la maison.
Lorsque je suis arrivée, il y avait plusieurs véhicules de pompiers et mon bébé était allongé sur la table de la salle à manger, entouré de personnes. Son père était assis sur une chaise, en état de choc ; je ne comprenais pas ce qui se passait. Mon fils avait fait un malaise cardiaque dans son lit ; son père l’avait retrouvé presque inanimé et avait débuté le massage cardiaque qui, selon les pompiers, lui avait sauvé la vie à ce moment-là.
Mon bébé a été hélitreuillé au CHU, accompagné de son père. Le médecin du SAMU nous a prévenus qu’il pouvait refaire des arrêts pendant le vol. J’ai regardé l’hélicoptère s’envoler en hurlant ma douleur et je les ai rejoint. Il a été pris en charge en réanimation pédiatrique.
Quand le diagnostic est tombé
Le soir de son arrivée, on nous a expliqué qu’il avait du sang dans le cerveau et qu’une intervention chirurgicale était nécessaire. Dans la nuit suivant son retour de l’opération, nous avons remercié le chirurgien, encore ignorants des difficultés à venir. En réalité, il présentait des hématomes sous-duraux, une rupture des veines pontes et des hémorragies rétiniennes. Mais nous n’étions pas au courant.
À part une infirmière qui a fait une remarque accusatrice le soir de notre arrivée, je n’ai jamais ressenti de malaise entre le personnel soignant et nous (pas devant nous en tout cas). Le lendemain matin, un médecin nous a annoncé qu’un signalement avait été fait au procureur pour syndrome du bébé secoué. Nous ne comprenions rien : qui aurait pu le secouer ? Pourquoi ? C’était impossible. Je n’ai jamais douté de son père et je connaissais mon fils ; il était impensable que quelqu’un lui ait fait du mal.
Les personnes avec lesquelles nous avons eu à faire ont été aimables, malgré le signalement. Mais nous n’avions plus le temps : nous devions découvrir ce qui était arrivé à notre bébé. Nous avons continué nos recherches sur internet et discuté avec les médecins des hypothèses que nous trouvions. Nous avons demandé une prise de sang pour son père et moi-même afin d’écarter une maladie génétique, une demande qui a été longue à accepter. Un jour, une médecin m’a dit : “Nous avons ouvert beaucoup de tiroirs, mais il en reste plein d’autres.” Nous sommes restés dans l’espoir.
Cependant, son état de santé ne s’améliorait pas ; il était intubé depuis son arrivée et avait une pression intracrânienne trop élevée. Toutes les maladies que nous avions évoquées suite à nos recherches n’étaient pas possibles pour eux. Malgré le fait que les soignantes aient dit à la cadre “il faut trouver, ce bébé n’a pas été secoué”, ils n’ont jamais trouvé et pensaient être sur un diagnostic certain.
“Le plus grand ennemi de la connaissance n’est pas l’ignorance, c’est l’illusion de savoir.”
Dans la machine judiciaire
Deux jours après notre arrivée dans le service, notre fille a été emmenée au CHU pour être examinée. Nous avons été placés en garde à vue le soir même, laissant nos deux enfants sans savoir si nous reverrions notre fils vivant à notre retour. Nous avons passé environ 24 heures en garde à vue lors de cette première audition, avec une perquisition et mise sous scellé de notre maison avant de pouvoir rejoindre nos bébés. C’était traumatisant : la criminalité chez nous était impensable.
Notre fille a été placée un mois chez mes parents, où heureusement, nous pouvions la voir. Nos relations avec l’aide sociale à l’enfance étaient bonnes. Elle a pu dire au revoir à son petit frère la veille de son extubation et le 11 septembre 2020, après 12 jours de lutte, notre bébé est parti dans nos bras. Il avait deux mois et sept jours.
Nous avons été entendus en audition libre puis placés en garde à vue quelques mois plus tard. Étant à trois semaines d’accoucher de notre troisième enfant, j’ai pu sortir ; quant à leur père, il a été mis en examen sous contrôle judiciaire et pour ma part, je suis restée sous le statut de témoin assisté.
Vivre avec la suspicion
J’ai longtemps eu l’impression que ma vie m’avait été volée. Nous n’avions plus aucun secret pour personne, on nous avait pris nos deux bébés.
Je continuais mes recherches pendant des années et j’ai recontacté tous les médecins qui m’avaient suivie ou s’étaient occupés de notre fils. Mais ils étaient tous fuyants (la procédure, ça fait peur !). Nous étions traumatisés par le moindre appel, l’ouverture de la boîte aux lettres, le bruit d’une voiture se garant devant la maison. J’avais toujours cette peur qu’on nous emmène une nouvelle fois loin de notre fille dont on essayait tant bien que mal de préserver l’innocence d’une petite fille de deux ans. Elle nous a clairement sauvé la vie.
Elle a rapidement été suivie par une psychologue, plusieurs fois depuis le décès de son petit frère.
Nous avons eu un troisième enfant, un cadeau du ciel, 14 mois jour pour jour après le décès de son grand-frère. La grossesse n’a pas été sereine, j’ai été suivie par une gynécologue incroyable spécialisée dans le diagnostic anténatal et par ma psychiatre.
Notre couple n’a pas tenu. Comment garder de l’espace pour l’amour quand la justice prend toute la place ? Même notre deuil passait en second plan. Nous ne suivions plus les mêmes chemins, mais aujourd’hui, le père de mes enfants est mon meilleur ami et nous nous soutiendrons toujours.
J’ai fait une dépression d’épuisement il y a un an et je suis toujours sous traitement.
Je n’ai pas la vie que j’avais imaginée, mais je pense avoir beaucoup travaillé pour aller mieux car mes enfants ne méritent pas de subir les conséquences des ignorants. Aujourd’hui, je sais que mon bébé était malade et qu’il ne reviendra pas. Mon plus grand souhait est que tout s’arrête, qu’on le laisse se reposer, qu’il ne soit pas qu’un dossier et que sa tombe ne soit plus salie par cette injustice. Je veux retrouver la sérénité que je n’ai plus connue depuis cinq ans et qu’on nous laisse tranquilles.
Mes enfants sont exceptionnels, ils parlent de leur grand/petit frère comme s’il était avec nous, et je suis fière de le faire vivre à travers nous.
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